Le 11/02/16, j'ai eu le plaisir de participer à une table ronde sur le Harcèlement au travail, dans l'émission "Cité à la Une" sur Radio Prun' (92..00 FM) aux côtés de Christine Joeffrion, Maître de conférence en Psychologie sociale, du travail et des organisations. L'occasion pour moi de donner quelques éléments cliniques sur des situations de harcèlement rencontrées dans le cadre de ma pratique " Clinique du travail".
Aussi, je vous propose ci dessous le podcast de l'émission ainsi qu'un article pour vous aider à trouver des ressources qui vous permettent d'identifier, de dénoncer, de régir face à ces situations toxiques.
DEFINITION
Le harcèlement moral au travail se définit par une conduite abusive (gestes, paroles, attitudes, comportements...) qui porte atteinte, par sa répétition et sa systématisation, à la dignité, ou à l'intégrité physique ou psychique d'une personne.
Cette conduite va alors mettre en péril l'emploi de la personne harcelée et dégrader le climat de travail.
Le harcèlement naît le plus souvent de problème de jalousie, de rivalité, de non-dits, de secrets au sein d'une entreprise (détournements, malversations...) ou d'un service, que certains ont le malheur d'approcher d'un peu trop près. Par exemple, un de mes patients a été victime de harcèlement de la part d'un de ses collègues, à partir du moment où il a osé dénoncer une situation anormale au travail. Toutes les tensions du service se sont alors cristallisées à son encontre.
PROFIL / MODE OPÉRATOIRE
Les personnes visées sont souvent des personnes qui ont beaucoup investi leur travail et pensent bien le faire ou des personnes qui ont un profil différent des autres, sur des aspects de personnalité, d'apparence physique, de sexualité, de croyance …
C'est donc plus la non-conformité qui est visée que la faiblesse supposée du harcelé.Le(s) harceleur(s) va(vont) alors s'employer à isoler leur victime par tous les moyens possibles pour ensuite l'agresser continuellement, sans raison aucune.
Et c'est cette absence de raison qui fait rapidement perdre pied.
Le harceleur ne dit jamais clairement à sa victime ce qu'il lui reproche, pour la bonne raison que ces reproches sont la plupart du temps indicibles car fondés uniquement sur des aspects subjectifs.
La personne harcelée ne comprend pas ce qui lui arrive, tente de trouver un sens aux attaques mais n'obtient jamais de réponse. Elle finit par douter d'elle-même, ne sait plus ce qui est normal ou non dans le comportement des autres et dans le sien. L'engrenage peut malheureusement être très rapide et mener à des complications psycho-somatiques nécessitant un arrêt de travail.
REPÉRER LES SIGNES
Il convient de repérer les comportements, gestes ou paroles qui agressent, et ne pas les laisser passer.
Le harcèlement procède de manière très insidieuse, mais certains éléments peuvent vous alerter.Caractéristiques du harcèlement moral :
Attaques INDIVIDUALISEES et ORIENTEES vers une personne en particulier, et toujours la même.
Caractère SYSTEMATIQUE et REPETE des attaques.
Attaques à CARACTERE SUBJECTIF qui ne concernent généralement pas la qualité du travail de la personne harcelée, mais sa personne directement : c'est l'être qui est pris à partie, pas son savoir-faire ou les compétences.
Existence d'une RELATION DE DOMINATION avec un dominant et un dominé sans aucune raison objective SITUATION ASYMETRIQUE dominant/dominé.
Quelques indices qui permettent de repérer le harcèlement :
Demander au harceleur de s'exprimer sur les raisons de ses critiques ou de ses reproches. S'il devient agressif ou violent, n'avance aucune explication, et que la situation se répète dans le temps et systématiquement envers vous, il y a de forte chance que vous soyez victime de harcèlement.
Par ailleurs, il est important de bien différencier le harcèlement moral du stress, de la pression ponctuelle pour un objectif particulier, de l'agression ponctuelle isolée, ou bien encore de mauvaises conditions de travail générales à l'entreprise ou au service.
RÉAGIR VITE
Il est important de ne pas laisser s'installer la situation.
Il convient de réagir au plus vite car plus la situation de harcèlement perdure, plus les conséquences en seront traumatiques et profondes, et plus la victime aura du mal à s'en remettre.
OSER DENONCER
Dénoncer le harcèlement est compliqué car très souvent le harceleur joue sur la honte que peut ressentir le harcelé à évoquer la situation.
J'ai reçu par exemple un jeune homme qui était sans cesse pris à partie par deux membres de son équipe au moyen de blagues à caractère sexuel et pédophile, mis en acte par des attouchements inappropriés sur sa personne. C'était très compliqué pour lui d'évoquer le contenu de ces blagues. Cela l'a plongé dans une gêne très profonde et l'a empêché de dénoncer ces agissements auprès de son responsable. Ce n'est qu'après plusieurs rencontres qu'il a pu mettre en mots son ressenti et que nous avons pu travailler ensemble à la dénonciation des faits.
Le plus souvent, la personne harcelée préfère oublier es agressions, parce qu'elle ne les comprend pas ou parce qu'elle en a honte. Il faut verbaliser ces agressions, en parler à son entourage afin de ne pas laisser l'isolement s'installer.
Tout ce qui ne semble pas normal doit être dit et le plus tôt est le mieux !
Et si le sentiment de se sentir victime apparaît, il faut réagir.
Il est souvent utile d'organiser une médiation, afin d'affronter la personne qui agresse en lui demandant des explications : si elle admet que quelque chose ne va pas, cela devient un conflit entre deux personnes et les supérieurs hiérarchiques doivent prendre leurs responsabilités dans la gestion de ce conflit qui pourra être traité. Si elle nie les faits et continue les attaques, c'est du harcèlement.
Dans ces cas-là, il est très important de parler, si possible à quelqu'un à l'intérieur de l'entreprise (supérieur hiérarchique, service RH, service conditions de travail, CHSCT, Médecine du travail) ou à l'extérieur (inspection du travail, juriste, syndicaliste, psychologue, association, service d'aide aux victimes, écoute téléphonique ...
SE DEFENDRE / SORTIR DE LA POSITION DE VICTIME
Il est souvent utile de rendre les choses le plus traçable possible. Il est souvent conseillé à la personne victime de noter, jour après jour, les agressions (verbales, physiques) dont elle est victime.
Si la personne sent qu'elle est profondément déstabilisée, il est important qu'elle puisse reprendre les événements avec un professionnel de santé, médecin et/ou psychologue.
N'importe qui peut en être victime un jour, quelle que soit sa structure de personnalité. Mais certaines personnes vont avoir plus de ressources que d'autres pour se défendre : notamment les personnes qui ont une réelle confiance en elles-mêmes et qui peuvent s'appuyer sur un environnement familial et amical solide et sécurisant.
PRISE EN CHARGE PSYCHOLOGIQUE
Ce que je travaille principalement en psychothérapie, avec mes patients victimes de harcèlement, c'est la restauration de la confiance en soi qui a été sapée par le harceleur à force de dévalorisation systématique.
Dans un objectif de prévention (de tomber à nouveau sur un harceleur) je travaille également sur l'affirmation de soi, qui est à distinguer de l'agressivité car être affirmé ce n'est pas être agressif puisqu'une personne affirmée va systématiquement prendre en compte l'autre, à l'inverse d'une personne agressive.
Apprendre à dire non dans le respect de l'autre et sans entrer dans une justification permanente n'est pas simple pour la plupart d'entre nous mais heureusement cela s'apprend et il n'y a donc pas de fatalité.
Courage à toutes les personnes qui vivent au quotidien ces situations toxiques.
Osez demander de l'aide, osez en parler pour enfin en sortir !
Nathanaëlle HAUBOIS
Psychologue clinicienne, Psychothérapeute